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29.04.2014

Nègres blancs

 

à tous les nègres blancs

une boule et un écran

une paire de souliers noirs

une montre et un miroir

à chacun sa poubelle

sa pédale et sa pelle

une ampoule une serviette

une clé et une assiette

 

à tous les nègres blancs

un parapluie pliant

du pain et des condoms

un trône percé d’un rond

un tout petit plancher

une guenille à chiquer

le transport des valises

le droit à la bêtise

 

à tous les nègres blancs

des pieds pour leurs enfants

une bouteille pleine de roches

une lampe et une poche

une corde et un piquet

la culture du navet

une toile de Taillibert

l’adresse du cimetière

 

une cirrhose une scie ronde

le blé d’une fausse blonde

un clou phosphorescent

une brique et un aimant

 

mo-ha ! mo-ha ! mo-ha!

 

(je n’ai jamais vu Wabush…)

(je voudrais voir Wabush…)

16.04.2014

Ramon

 

j’étais Ramon le mal rasé

ramonant la femelle

dans un arbuste empoussiéré

du parc Jeanne-Mance

après le bar

ses considérables totons blancs

frémissaient au printemps

de Montréal

et les petits poils érectiles

si tragiquement vulnérables

si dérisoires

de son trou du cul

dans le vent

quand j’ai vu

en redressant la tête

la noire baleine du Mont-Royal

ce corps monstrueux

gigantesque

affalé dans la nuit cosmique

ça m’a comme saisi

ç’a été plus fort que moi

je me suis senti monter

une sorte de dégoût

pour le doux entonnoir

qui s’efforçait de me divertir

il y avait nos râles risibles

et le rire puissant

silencieux

indifférent

de l’horloge broyant les espèces

dans l’inanité de la machine Univers

04.04.2014

Qui sont ces fous

 

sorciers sorcières anges de chair

ouvrez les portes de nos enfers

réveillez les morts et les vivants

la nuit est rouge comme notre sang

raclez vos violons tordez nos nerfs

que chantent nos chaînes et nos misères

et nous danserons sur les genoux

entre les étoiles et les égouts

 

nous voulons luire au bal des poussières

qu'on nous donne à boire de la lumière

nous voulons l'amour comme les bêtes

des femmes louves la fesse en fête

nous voulons l'Irlande tout entière

pour nous tout seuls et sans l'Angleterre

nous n'aurons ni maîtres ni tabous

entre les étoiles et les égouts

 

qui sont ces fous qui crient dans le noir

des ombres nues devant des miroirs

 

nous vendrons le vent aux millionnaires

dans des boîtes vides faites de fer

nous donnerons l'argent aux revenants

l'habit des banquiers aux chiens errants

nous ferons fondre l'or pour en faire

des chambres d'enfant sur toute la terre

et nous bénirons ceux qu'on bafoue

entre les étoiles et les égouts

 

si les dieux sont morts les yeux crevés

c'est qu'ils ont osé nous regarder

refaire le monde ici-bas

et puisque sans eux il n'y a pas

de monde meilleur et pas d'ailleurs

pour le plus grand de tous nos malheurs

nous serons des hommes et c'est tout

entre les étoiles et les égouts

 

 

22.03.2014

Psychanalyse No. 24-92 (Ode à Sigmund Freud)

 

j'me sus faite frapper

par l'ambulance

je marchais à pied

dans la distance

je suis bad lucké

dans l'existence

c'pas ma faute à moé

c'est mon enfance

qui m'a toute fucké

ça a pas d'sens

pis mon père René

y a pas d'licence

y a pas l'droit d'chauffer

un ambulance

14.03.2014

Rente la sringue

 

rente la sringue de l’amour dans mon cœur

fais de moi le junkie du bonheur

je suis seul c’est la nuit et je pleure

rente la sringue de l’amour dans mon cœur

 

hostie de tabarnak ça va mal

maudit christ de câlisse j’ai si mal

l’amitié de ta cuisse m’est vitale

où es-tu mon si bel animal

 

j’ai couru dans les rues sans te voir

j’ai marché le plancher dans le noir

mon reflet disparaît du miroir

ne reste plus que le désespoir

 

si la clé n’ouvre plus la maison

et si je n’entends plus la raison

si le chien ne comprend plus son nom

conçois donc ce qu’est mon abandon

 

rente la sringue de l’ amour dans mon cœur

fais de moi le junkie du bonheur

je suis seul c’est la nuit et je pleure

rente la sringue de l’amour dans mon cœur

08.03.2014

Le survenant

 

donne-moi une bière pis un petit whisky

je suis revenu de Maniwaki

je te rapporte ton trombone tel que promis

tu peux me remettre mon parapluie mon hostie

 

tu te souviens de Tony

celui qui chiait des olives

quand il buvait trop de martinis

j’ai entendu dire qu’il a mangé sa chemise

et que ça lui a donné des boutons

tu te souviens de la petite Manon

celle qui pensait toujours un peu

comme la tour de Pise

il paraît qu’elle a cassé son violon

quand elle a perdu la boule

je lui avais pourtant dit fais attention ma fille

c’est un sport dangereux les quilles

 

je suis revenu en autobus

j’ai vu que rien avait changé

tout est juste un peu plus petit qu’avant

les autos les appartements

les plats dans les restaurants

Maniwaki non plus c’est pas tellement grand

là-bas comme ailleurs

les nouvelles sont les dessins animés

des grands enfants

mais là-bas je peux pas dire le contraire

je me suis refait j’ai eu le temps

 

je vas retourner voir Lola

je m’en fais pas

les femmes se fatiguent toujours

de leur dernier chum

surtout quand il déconne sur le cholestérol

en mangeant du Pablum

 

pis je repars demain

je m’en vas ailleurs quelque part

c’est un secret je te le dis pas

je vas t’écrire fie-toi sur moi

je vas t’envoyer mon nom

écrit en lettres majuscules

sur un deux de pique ou sur un bill de cent

tu vas savoir que ça vient de moi

n’importe comment

 

en attendant donne-moi un autre verre

donne-moi une bière pis un petit whisky

en passant quand je serai parti

dis bonjour pour moi à mon père

et à ses enfants

05.03.2014

Miss Monde

 

elle est venue du bout du temps

un collier de seins à son cou

les mains en forme d’ouvertures

et le sourire du thé fumant

vêtue de la noire chevelure

sans armure sans frivolité

 

venue de la fin de la terre

là où les oiseaux virent de bord

avec des lèvres en abondance

des pieds en nombre suffisant

les yeux bridés comme des martyres

la lune pleine entre ses jambes

 

c’est l’écuyère sous le cheval

la cavalière armée d’amour

 

elle est venue de toutes ses forces

portant son dos comme un lit blanc

ses ailes comme des sentinelles

et la brume du soleil levant

venue de l’intranquillité

fuyant la fuite et pour rester

25.02.2014

Les gardiens de l'inutile

 

nous n’aimons franchement

que ce qui nous plaît

je parle bien sûr des anges

dont sont pleines vos poubelles

notre politique est indiscutablement érotique

notre programme est la beauté même

cette finalité sans fin

celle que tu as camarade

peut-être oubliée un matin

ou qui t’est restée entre les mains

au fil du temps à force de repasser par le même

 

en ce qui nous concerne

nous n’avons plus d’idées

nous n’avons que des mots

dont tu n’as pas idée

nous sommes les gardiens de l’inutile

la forteresse que nous défendons

restera imprenable à jamais

parce qu’elle est vide

tu le savais ?

 

nous ne savons pas compter

nous ne rêvons que de raconter

nos voix sont des masques

et nos tréteaux sont paraît-il si beaux

que quelqu’un m’a dit

que les vieux chevaux

viennent mourir de ce côté-ci de nos eaux

et qu’entre nos mains le plus noir des oiseaux

sera toujours plus blanc

que le bas de ton dos

 

ne vois-tu rien venir camarade

sur le trottoir pourtant le vieux soulier noir

ressemble à s’y méprendre à un corbeau noir

 

c’est en nous nous le savons

que le siècle se survivra

nous entrerons dans un autre millénaire

en marchant sur les mains

et le cul à l’air

comme dans l’au-delà

le temps ne nous est rien

que le souffle de la mode

agonisant dans les couloirs d’un métro

là où nous avons trouvé ces lambeaux d’âme

dans lesquels nous avons taillé nos manteaux

 

tout ce qui nous alarme

a été créé pour notre bien

et fera désormais notre charme

et nous nous en repaîtrons

et nous nous en foutrons plein les babines

et nous rirons bien ronds

en nous roulant dans le sublime

 

ne vois-tu rien venir camarade

sur le trottoir pourtant le vieux soulier noir

ressemble à s’y méprendre à un corbeau noir

01.02.2014

Art poétique

 

Toutes les musiques sont inutiles, ou presque, parce que la musique est faite en général par des musiciens / les musiciens sont des gens qui n’ont rien à dire mais qui veulent faire quoi ? de la musique / un batteur veut taper sur ses casseroles, il se fout bien de tout le reste / une symphonie, c’est un gros tas de notes qui tiennent ensemble à cause de quelques lois strictement mathématiques et qui n’expriment rien d’autre qu’une architecture mathématique / on l’a dit souvent, il n’y a pas d’émotion dans la musique de Bach, par exemple, pas d’idées non plus, sauf des idées de mathématique musicale / pour que la musique devienne intéressante, il faut lui superposer du texte, c’est-à-dire du sens, ce que la musique toute seule ne fournit jamais puisqu’elle en est incapable / le chant grégorien va quelque part, il est prière, une sonate pour piano n’est que du piano ivre d’une combinatoire mathématique / la musique populaire, elle, est une arnaque à vagins, une pulsion simiesque, et une colossale machine à piastres, on commence à le savoir / ce n’est pas pour rien que toutes les « idoles » sont manufacturées pour un public d’adolescentes de plus en plus jeunes : ça carbure aux hormones et c’est jetable quinze mois plus tard / la « grande musique » ressemble à la passion des nombres qu’avait Sade ; elle donne le même vertige et elle est aussi platement vide / quand on sait ce que c’est qu’un accord mineur, il devient vraiment trop facile de peser sur le piton, même si ça marche à tout coup, et justement parce que ça marche à tout coup / Beethoven disait un jour à un violoniste récalcitrant qui n’arrivait pas à jouer une partition trop difficile : « Que m’importe votre sacré violon quand l’esprit souffle en moi ! » / il écrivait de la musique, le zeb, il s’était fasciné sur la mathématique et personne n’allait le faire chier, n’est-ce pas / la musique de son époque commençait à souffrir de la mort de Dieu qu’elle pressentait ou qu’elle avait anticipée – cette époque, celle du « romantisme » / aujourd’hui la musique est morte, la grande musique d’abord, merci au matraquage de masse des faiseurs d’hymnes aux vagins, la musique religieuse, n’en parlons pas, mais, plus grave, la musique populaire aussi / il y a une énorme différence entre une culture populaire et une culture de masse / Robert Johnson a écrit des blues issus d’une culture populaire, Eric Clapton, le long saxon aux pieds froids, n’est qu’un faiseur de sonorités très suitable pour un marché de masse, qui ne connaît pas – et par conséquent n’achète pas – la musique du nègre mort Johnson / l’architecture du chant grégorien obéit à un principe mathématique visant à produire une mélodie dépourvue d’excitation sensuelle, la spiritualité s’opposant, dans la religion chrétienne, à l’univers trouble de la sensualité ; les écarts entre les notes sont soumis à un contrôle d’une extrême rigueur, qui ne permet aucun emballement, aucune envolée, aucun déraillement émotif / évidemment, cette musique est la plus sensuelle du monde, la plus blues, la plus magnifiquement retenue et la plus suavement suggestive de ce qu’elle veut suggérer : le divin, lancinant et qui fait mal quand on le cherche – en pure perte, toujours – à l’intérieur de soi / j’ai craqué pour le rap à l’époque déjà oubliée où il a été ce que la musique « afro-américaine » a toujours été / depuis que les Italiens font du rap rococo avec des tuques de nègre, c’est la nausée, naturellement / l’intelligence du slang – de l’« ebony », mettons – des nègres américains qui ont inventé le rap est égale à celle qui a donné naissance aux phrasés jazz, blues, rythm & blues, funk, rock ’n’ roll – brevet nègre, ne l’oublions pas – / ils ont tout fait / la seule musique « typiquement » américaine est le country & western, qui est une musique européenne resucée, en gros / j’admire cette vraie culture populaire dont est issu le rap, qui est devenu une autre vis de la culture de masse et qui pour ça ne veut plus rien dire aujourd’hui / la parole est l’essence du rap, le reste sans la parole ne serait rien / nous sommes des êtres beaucoup trop sophistiqués pour être victimes de la savane et de ses seuls rythmes, nous sommes des singes dénaturés, le but de notre culture est de faire de nous des primates dégénérés, des blondes à l’aisselle rasée qui ne parviennent jamais tout à fait à entrer en transe quand bat le tam-tam entravé par la pénicilline pourtant fabriquée à partir du membre de l’étalon / il y aurait une vaste étude sociologique, philosophique, religieuse, qui devrait être entreprise afin d’étudier le vide estomaquant des pages de journaux et de magazines consacrées aux entrevues universellement stupides que donnent les « musiciens » et autres chanteurs de pomme, promotion oblige / dans toutes les musiques où on n’entend que l’absence de Dieu, ou l’absence de son absence, on ne peut sentir que cette horreur, les pieds du cœur humain qui pue comme tout ce qui vit et qui va mourir / la musique seule, c’est deux choses : rythme et mélodie, l’accent étant mis soit sur le rythme, soit sur la mélodie – une « belle » mélodie, pour être belle, doit être lente, un rythme emportant doit être rapide et forcément réduire l’aspect mélodique de la chose, c’est mathématique / il faut du texte pour sauver la musique de la musique, qui n’est jamais qu’elle-même – trois quatre, etc.